Au début des années 90, les grands mythes du fantastique avaient la cote à Hollywood. Avec le succès de Dracula de Francis Ford Coppola, les studios avaient décidé de réactualiser tous les classiques du cinéma fantastique. Principalement, ceux des productions Universal des années 30 ainsi que leurs nouvelles versions en couleurs produites par Hammer Films dans les années 50 et 60.
Contrairement aux précédentes adaptations, le roman de Valérie Martin "Mary Reilly" apportait un éclairage totalement neuf sur le fameux mythe du Dr. Jekyll et Mr. Hyde. L'histoire du docteur qui se transforme tous les soirs en monstre criminel à la suite d'une expérience malheureuse est connue de tous. Valérie Martin a eu l'idée de raconter une nouvelle fois cette célèbre histoire, mais d'un point de vue extérieur à celui du docteur Jekyll, à savoir celui de la servante, Mary Reilly. C'est par ses yeux que l'on découvre et comprend le drame dont est victime le médecin. Traumatisée par une enfance violente, Mary trouve dans cet emploi de servante une situation qui lui convient parfaitement. Amoureuse du Docteur, elle rencontrera bientôt son mystérieux assistant, Monsieur Hyde, un homme étrange, violent, dépourvu de toute morale, qui la séduira vite par son aura maléfique. Ce n'est que bien trop tard qu'elle réalisera que Hyde n'est autre que Jekyll et que deux personnalités antagonistes cohabitent dans un même corps...
Acheté par TriStar, le roman devait au départ être adapté au cinéma par Tim Burton qui voulait Winona Ryder dans le rôle de Mary Reilly. Le studio refusa ce choix et l'auteur de Beetlejuice s'en alla chez Disney pour réaliser Ed Wood.
TriStar proposa alors le film à Roman Polanski, mais le projet capota quand le cinéaste voulut imposer lui aussi une actrice pour le rôle-titre. Il s'agissait de son épouse Emmanuelle Seigner. Or, le studio avait depuis longtemps choisi l'interprête de Mary Reilly. Ce serait Julia Roberts, la star féminine la plus populaire du moment. Avec ce rôle à contre-emploi, c'était l'Oscar assuré pour l'actrice et autant de prestige gagné pour le studio, en quête de reconnaissance.
Stephen Frears possédait la sensibilité européenne recherchée par le studio. Il recruta pour Mary Reilly une grande partie de l'équipe qui avait fait le succès des Liaisons Dangereuses: Christopher Hampton au scénario, John Malkovich dans le double rôle de Jekyll et de Hyde, Glenn Close dans un rôle secondaire, George Fenton à la musique, Stuart Craig aux décors et Philippe Rousselot à la caméra.
Mais le tournage et surtout, la post-production, ne furent pas de tout repos. Tourné pendant l'été 1994, le film fut d'abord annoncé pour Noël de cette même année. Des problèmes de montage repoussèrent la sortie jusqu'au festival de Cannes 1995. Là encore, le film fut déprogrammé. De remontage en plans refilmés, les mois s'écoulèrent et Frears commença à perdre patience. TriStar n'était pas satisfait des différents montages proposés par le cinéaste. Frears laissa donc le studio se débrouiller seul avec le montage et s'en alla écrire et tourner un autre film: The Van.
Projeté à un public-test, le montage de Mary Reilly supervisé par le studio s'avéra bien plus catastrophique que celui proposé par Frears. La presse en profita pour annoncer que le film ne sortirait jamais. Et comme si cela ne suffisait pas, la productrice Nancy Graham Tanen, renvoyée du film par le président du studio, attaqua TriStar en justice.
Assassiné par la presse avant même sa sortie, Mary Reilly fut distribué dans les salles américaines en février 1996, après un an et demi de post-production. Cette cabale médiatique condamna le film à une courte carrière dans les salles et annihila tout espoir d'Oscar pour l'équipe.
Le film est cependant loin d'être mauvais mais avec le temps, cette œuvre aux qualités certaines risque de sombrer peu à peu dans l'oubli.